Tony Annan parcourt sa nouvelle terminologie d’entraîneur avec le plus d’élégance possible. Ce n’est pas simple.
Le responsable de l’école de jeunes d’Atlanta United, également entraîneur des -16 ans, a passé tellement de temps l’an dernier immergé dans une nouvelle formation d’entraîneur – fruit d’un partenariat entre la MLS et la Fédération française de football (FFF) – que des termes et des expressions nagent dans son esprit. Tout comme ces feux de circulation infernaux. Chaque fois que les entraîneurs étaient convoqués pour un des stages intensifs de cinq semaines compris dans la formation, ils étaient évalués quotidiennement selon un barème de feux de circulation : vert pour « bien », jaune pour « moyen » et rouge pour « insuffisant ». Chaque entraîneur craignait les jours en rouge. Des expériences couplées à un an d’apprentissage qui en a valu la peine, et qu’Annan tente d’assembler en un ensemble simple et facile à assimiler.
Puis il s’arrête, trébuchant à nouveau sur des mots grands comme des maisons.
« Je tente de les décrire le plus simplement que je peux, dit Annan, le sourire en coin. C’est relativement compliqué. »
Au cours des 12 derniers mois, Annan et 20 de ses confères des écoles de jeunes des clubs de MLS ont été submergés par le déluge de la formation intensive et exigeante de la Fédération française de football, lancée il y a plus de trois ans en partenariat avec la MLS. Ce Diplôme d’Entraîneur Formateur d’Élite (DEFE), tel qu’il est baptisé, a connu un grand succès en France ; son introduction aux États-Unis est le fruit d’une création de Todd Durbin, dirigeant de la MLS, et de quelques gourous de la formation à la française, lors d’une réunion à Paris en mars 2012.
La question alors sur la table concernait la manière d’augmenter la viabilité, la durabilité et la qualité des écoles de jeunes naissantes des clubs de MLS. La réponse des Français fut, au moins en partie, de réexaminer vigoureusement le système d’éducation des entraîneurs des jeunes du plus haut niveau.
Le DEFE, présenté un an après ces premières rencontres et indépendant de tout autre diplôme et processus de formation aux États-Unis, fut leur réponse.
Une maîtrise en soccer
En partenariat avec des formateurs fournis par la FFF, la MLS a lancé en 2013 la formation menant au DEFE pour les directeurs et les entraîneurs des écoles de jeunes. Cette formation est devenue l’une des plus courues au monde après avoir tout d’abord été incontournable dans le soccer français, au point que la FFF exige aujourd’hui que les écoles de jeunes de tous les clubs professionnels français aient au moins un entraîneur détenteur du diplôme.
La seconde promotion à suivre cette formation, 21 entraîneurs venus de toutes les écoles de jeunes de MLS, a commencé les cours en septembre 2015. Après la réduction du cursus à 12 mois, ils formeront le deuxième groupe de diplômés ce mois-ci.
La promotion 2014 à peine sortie, la difficulté de la formation a rapidement été de notoriété publique, avant même que le deuxième groupe ne s’y mette. Quelques candidats ont abandonné, et le taux de réussite de l’examen final, notoirement complexe, ne fut pas de 100%. Nombreux s’accordaient à dire que cette formation, indépendante de tout autre diplôme aux États-Unis, était la plus difficile qu’ils aient suivie.
Les entraîneurs ont voyagé au cours de huit semaines entre différents lieux aux États-Unis et en France, où ils ont dû faire leurs preuves dans des domaines tels que la technique, le style personnel et la psychologie de la formation. Ils ont aussi passé du temps en immersion dans différents clubs européens, de Feyenoord à la Real Sociedad en passant par Lyon, afin d’apprendre de leurs yeux leurs méthodes de formation. Dans l’intervalle, chaque entraîneur avait quotidiennement la tâche de prendre des notes sur sa pratique, de la documenter et d’envoyer le tout pour évaluation.
Quand les entraîneurs parlent d’une formation de 52 semaines, ce processus éreintant comparable à l’effort nécessaire pour obtenir une maîtrise est ce à quoi ils font référence.
« Ce n’est pas le genre de choses où il suffit de paraître, que tout le monde réussit et où tout le monde passe du bon temps. Ce fut vraiment difficile » explique Marc Nicholls, directeur de l’école de jeunes des Seattle Sounders, qui a réussi lors de la première session.
La difficulté n’a été pertinente que dans la mesure où elle a produit des entraîneurs capables de synthétiser du vocable d’entraîneur pour le transformer en un format qu’il était possible d’enseigner à leurs joueurs une fois de retour à la maison. Et les entraîneurs qui ont obtenu leur diplôme déclarent qu’ils commencent déjà à en récolter les fruits.
Les entraîneurs des équipes de jeunes de MLS en plein travail avec Didier Deschamps, entraîneur de l’équipe de France et champion du monde 1998.
De la classe au vestiaire
Pour Rich Fagan, entraîneur principal des -18 ans des Vancouver Whitecaps et deuxième entraîneur du club à suivre le programme, ce processus a commencé lors de la dernière formation. Le cycle 2015/16 du DEFE consistait en des modules d’une semaine organisés au Sporting Kansas City, au Philadelphia Union, aux New York Red Bulls, à Atlanta United, et enfin en France. Au cours de la première semaine, les entraîneurs ont regardé le travail de leurs homologues français au cours de sessions d’entraînement avec les joueurs du centre national de Clairefointaine.
Fargan était médusé.
« Les entraîneurs étaient à ce point calmes et réfléchis, cela m’a énormément surpris, explique Fagan. À ce moment-là, je ne savais pas à quoi m’attendre. Ils ne nous avaient pas encore parlé de méthodologies d’enseignement. J’étais simplement en train d’y assister pour la première fois. Ce que j’ai vu ces entraîneurs retirer de ces jeunes en une aussi courte période de temps sans avoir à en dire trop était incroyable. Cela a tout bonnement tracé mon chemin des 12 derniers mois. »
Les entraîneurs des écoles de jeunes des clubs de MLS posent en compagnie de leurs formateurs et d’une équipe de jeunes du Philadelphia Union.
Alors que de notre côté de l’Atlantique, les entraîneurs ont la réputation d’être démonstratifs, grands gestes à l’appui, le DEFE a mis ses candidats au défi de prendre du recul et de laisser leurs séances d’entraînement respirer. Au cours de la formation, l’apprentissage d’une étape préalable à chaque entraînement appelée « découverte guidée », qu’Annan a affectueusement rebaptisée « silence habile » après l’avoir intégrée à ses séances d’entraînement à Atlanta. Le but est de s’écarter de la séance en laissant les joueurs découvrir et résoudre les problèmes qui se posent sur le terrain. Durant ces périodes, un entraîneur ne peut rien faire de plus que devenir un enseignant socratique, questionnant systématiquement et ne fournissant jamais de réponses catégoriques.
La phase suivante consiste à prendre les principes observés qui doivent être peaufinés et à les introduire dans un exercice plus technique qui insiste sur la répétition et les exigences verbales des entraîneurs. Enfin, la séance se poursuit par des exercices en petites équipes puis en rencontres entre équipes au complet qui reprennent les mêmes principes et les rajustent en situation de match.
Mais cette période initiale de découverte guidée constitue le socle de l’ensemble, et peut demander un changement de mentalité difficile pour les entraîneurs habitués à la façon de travailler avec les jeunes aux États-Unis.
« Avant cette formation, je voulais tout contrôler, explique Annan. Je donnais beaucoup d’informations, presque trop. Je pense que je voulais avoir le plein contrôle de ma séance. Cet ajustement consistant à prendre du recul et à les laisser découvrir est une façon de faire complètement différente. C’était vraiment difficile pour moi. Au début, cela me posait des difficultés, tout comme à mes joueurs. Ils étaient habitués à recevoir trop d’informations, et à des exigences constantes de ma part. Mais plus vous pratiquez cette méthode, plus vous voyez les joueurs prendre la direction des opérations et penser à la manière de résoudre des problèmes. Vous voyez vraiment des joueurs différents émerger. »
Fagan a pu constater des liens de cause à effet : « Auparavant, j’étais toujours pour le moins direct dans ma manière d’entraîner. Je voulais aller droit au but et leur faire part de ma solution. Maintenant, je les laisse y penser et je leur demande leurs propres solutions. C’est un changement substantiel. »
Tactiquement, le but le plus général du cours est probablement de réduire l’interventionnisme excessif des entraîneurs et de rendre une partie du pouvoir aux joueurs. Les formateurs de la FFF illustraient cela comme un manque d’espace entre les deux côtés de la ligne de touche, entre le bord du terrain et le terrain lui-même. Et cela ôtait aux joueurs une partie de leur créativité et de leur perspicacité tactique. Les joueurs s’améliorent en résolvant eux-mêmes leurs problèmes, pas en regardant les entraîneurs emboîter le casse-tête pour eux. C’est pourquoi il est vivement conseillé de commencer chaque séance d’entraînement par une période de découverte guidée.
Si un joueur est capable de diriger ses propres mouvements, de résoudre ses propres problèmes et de proposer ses propres solutions, affirme-t-on dans la formation, il sera en fin de compte plus avisé à l’exécution tactique.
« Le domaine principal que nous devons développer est la connaissance du jeu, déclare Lipka. C’est l’aspect tactique. Parfois, nos jeunes sont talentueux mais ne savent pas quoi faire ni comment le faire. Techniquement, je pense que nous avons de bons joueurs, mais parfois, individuellement ou tactiquement, ils ne connaissent pas les bases tactiques. Je pense que nous pouvons aider à y remédier. »
Ce que l’avenir réserve
Les prochaines étapes du DEFE sont encore en train d’être finalisées. Lipka espère qu’à court terme, la formation sera dispensée à un troisième groupe de 21 entraîneurs. Pour le moment, il a en quelque sort le rôle de ressource technique pour les entraîneurs des équipes de jeunes des clubs de MLS qui veulent améliorer leurs séances d’entraînement et retirer le plein potentiel de leurs joueurs.
La MLS pourrait-elle un jour s’emparer de la formation et dispenser quelque chose de similaire sous sa propre bannière ? Il ne faut jamais dire jamais. À l’heure actuelle, le programme se propage un entraîneur à la fois.
Pour une base quotidienne et pratique, la plupart des entraîneurs prêchent la patience. Plusieurs ont déjà vu les résultats positifs de l’insistance de la formation sur une approche moins interventionniste. Cela tend à former des joueurs plus enclins à la créativité, et si c’est là que la formation veut amener les meilleurs joueurs des équipes de jeunes de MLS, alors elle aura accompli sa mission.
« Cela prendra du temps, dit Mike Muñoz, entraîneur des -18 ans du LA Galaxy, qui a suivi la formation cette année. Nous avons vu nos jeunes grandir de façon spectaculaire. Et je dirais que cela vient de la nouvelle méthodologie, mais aussi d’autres domaines. »
« Cela prendra du temps, poursuit-il. Mais vous devez également avoir la bonne structure de club. Les jeunes doivent recevoir la possibilité de jouer en USL et en équipe première. Vous pouvez disposer des meilleurs talents au monde, s’ils ne reçoivent pas ces chances, cela ne voudra rien dire. »
La première promotion des entraîneurs des écoles de jeunes des clubs de MLS pose pour une photo en compagnie du commissaire de la MLS, Don Garber, et d’une légende dans le monde des entraîneurs français, Gérard Houllier.
