Retour sur la finale en cinq points

Ce mercredi, l’America Mexico s’est donc imposé à Montréal 2-4 et a remporté la Ligue des champions 2015, après le partage 1-1 lors du match aller de cette finale. Cela n’a pas empêché Montréal de vivre une soirée magique, dont voici cinq aspects marquants d’ordres très divers.


1. Le match

L’essentiel, évidemment. Il se résume assez facilement. En première mi-temps, Montréal a fait beaucoup mieux que se défendre en ouvrant la marque via Romero, en menant des contres dangereux et en muselant un adversaire qui, malgré une archi-domination en possession de balle, peinait à se trouver et à se montrer menaçant. En deuxième mi-temps, l’équipe locale s’est effondrée : il a fallu cinq minutes aux visiteurs pour égaliser et, voyant que leur adversaire ne se relevait pas, ils ont porté le coup de grâce en 60 secondes à peine un quart d’heure plus tard, avant de planter une quatrième rose. En fin de match McInerney a réduit l’écart et offert une bonne note finale aux supporters locaux. Malgré tout, ce fut une soirée très riche en émotions. Pour la revivre de bout en bout, lisez ce compte-rendu détaillé. Si vous souhaitez vous contenter des buts et des occasions les plus dangereuses, regardez-en les faits saillants.


2. Le « lieu du crime »

Lors de la présentation de l’America Mexico dans Coup Franc la semaine dernière, on avait épinglé quelques caractéristiques évidentes de cette équipe. Parmi elles, le fait qu’elle aime jouer dans l’axe et que même ses joueurs excentrés préfèrent rentrer dans le jeu plutôt que d’aller tutoyer la ligne de touche. On avait aussi expliqué qu’elle aime faire circuler le ballon et envoyer des passes tranchantes qui déstabilisent la défense, avec une zone d’action privilégiée pour ces passes entre la sortie du grand rectangle et le rond central.


Regardez la photo ci-dessous, elle représente la passe à l’origine des quatre buts des visiteurs (soit la dernière, soit l’avant-dernière). Il y a plusieurs choses édifiantes.

Retour sur la finale en cinq points -

Ces quatre passes ont de nombreux points communs. À commencer par l’endroit d’où elles ont été effectuées. Si l’on devait dessiner un quadrilatère entre les quatre points, il recouvrirait 3% du terrain, et encore… (en plus, le 1-3 fait au moins quintupler sa taille). Si tout est parti de cette zone d’action, les similitudes se sont poursuivies : le passeur en question (souvent, d’ailleurs, un latéral rentré dans le jeu) a toujours donné le ballon vers sa gauche, et trois fois sur quatre en direction du poteau à la droite de Nicht. On connaît la conclusion.


Plus étonnant encore : on retrouve une situation similaire sur les deux autres actions les plus dangereuses de l’America (photo ci-dessous), soit la reprise de Benedetto sur la transversale (qui, contrairement aux autres, partait cependant d’un coup franc, donc il pouvait y difficilement y avoir du monde autour de l’auteur de la passe) et la tête de Peralta qui a failli donner l’avance à ses couleurs peu avant l’heure de jeu.

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Si les qualités des joueurs de l’America Mexico ont sans aucun doute un rapport avec cette stupéfiante constatation, il va sans dire que les Montréalais ont laissé une situation presque identique se reproduire trop souvent et devront travailler pour éviter qu’elle se reproduise à l’avenir.


3. Les réactions

Dans le camp local, elles allaient toutes dans le même sens. Quand on leur parlait du match, les Montréalais mettaient en exergue le flagrant contraste entre les deux mi-temps. Malgré les absences et la réorganisation de l’équipe, personne ne cherchait d’excuses, tout en stigmatisant la fatigue et la désorganisation qui ont provoqué l’effondrement fatal. Une déception d’autant plus forte qu’elle était empreinte du sentiment d’avoir tout donné jusqu’au bout et d’être passé tellement près de l’exploit. Un état d’esprit qui a envahi tout le soccer montréalais hier soir, à un tel point qu’entre les lignes de certaines analyses, on devinait le chagrin de l’auteur. Chez les supporters également, le contraste était de mise, entre les espoirs d’avant-match et la déception du résultat.


Du côté des vainqueurs, c’était évidemment bien différent, et on sait que les joies sont encore plus intenses quand on évite la catastrophe. Sans forfanterie, ils parlaient de différence de qualité entre les deux équipes, mais tenaient quand même à insister sur les mérites de leur adversaire. Les propos du gardien Muñoz résumaient bien l’état d’esprit de son équipe au sujet des 180 minutes de cette finale : « Montréal a été excellent lors des deux rencontres, mais ici nous avons fait ce que nous n’avions pas réussi à Mexico. »


4. La portée du match et de ce qui a précédé

Il semble bien loin le temps où Montréal jouait devant moins de 5000 personnes taiseuses dans un stade  anonyme, mais quand même plus connu des Québécois que l’équipe elle-même, passée par une faillite en 2001. Sur le terrain, dans les bureaux et dans les tribunes, ils n’étaient qu’une poignée à voir le grand potentiel sous leurs yeux, mais même les plus déterminés, comme le président Joey Saputo, n’auraient pas imaginé dans leurs rêves les plus fous une soirée comme celle de ce mercredi, et un tel parcours sur la scène internationale.


Cette finale, devant 61 000 personnes, avec un tifo et une ambiance probablement historiques pour la ville, étaient l’apothéose d’une grande aventure. Il faut espérer qu’elle ait porté ses fruits dans les diverses strates du paysage sportif montréalais. Parmi les novices qui ont découvert l’équipe, certains ont dû tomber sous le charme. Parmi les amateurs de sport aimant le soccer, l’Impact a certainement gagné quelques places dans la hiérarchie des passions. Et chez les autres ? Et dans les médias ? Et que se passera-t-il lors du retour aux réalités quotidiennes, notamment si les résultats sont décevants ? De nombreux observateurs extérieurs des milieux du soccer au Canada et aux États-Unis ont posé la même question après le match : « Le buzz va-t-il continuer ? »


Ce qu’il y a de plus paradoxal là-dedans, c’est que si à Montréal, certains rechignent à donner au soccer la place qu’il mérite, dans le monde, on parle plus de l’Impact que des Canadiens, le club de hockey local. Ce qui me rappelle des discussions au Costa Rica, où les gens me disaient « Oui, on a une culture de soccer, mais même les gens qui s’y intéressent moins l’aiment car c’est grâce à lui que notre pays a une visibilité internationale. »  Bien entendu, la place de sport national du hockey n’est en rien menacée au Canada, mais s’affirmer face à lui, ce n’est pas le dénigrer et il serait temps que le soccer, qui a la maturité nécessaire, prenne sa place et cesse d’être le petit de maternelle qui suit son grand frère partout avec une admiration aveugle.


5. Que manque-t-il pour gagner la Ligue des champions ?

Une question posée au sujet de Montréal mais aussi, voire surtout, des équipes de MLS en général. L’entraîneur visiteur Gustavo Matosas insistait sur l’importance de la formation des jeunes, et ce qu’ils peuvent apporter à long terme. Certains Montréalais, pas forcément devant les micros, avançaient que le niveau des onze joueurs était plus homogène dans l’autre équipe.


La question a été posée à Patrice Bernier, qui a fait un parallèle entre la MLS et la Premier League. « Comme en Europe, la Ligue des champions, c’est autre chose que le championnat local. En MLS, on est un peu comme les Anglais : on est basé sur un jeu très athlétique qui utilise les espaces. Les autres, y compris les petites équipes d’Amérique centrale, ont beaucoup de qualités techniques. Il faut être adroit avec le ballon, car quand on ne le garde pas, on le paye cash et on fait des erreurs de concentration. Il nous manque encore une petite coche pour être à la hauteur de ces équipes-là, et ça fait la différence dans l’exécution. »


Dans nos contrées depuis peu, Laurent Ciman peut amener un regard frais et expérimenté sur la question et a aussi été interrogé à ce sujet : « Ils ont l’habitude de jouer ces grands matches, les clubs de MLS peut-être moins. Je viens d’arriver mais par rapport à ce que j’ai vu de l’Impact, c’est juste de la concentration et de la rigueur. »


Depuis le coup d’envoi du quart de finale aller à Pachuca, Montréal a passé énormément de temps à subir le jeu. L’équipe a été efficace défensivement et opportuniste devant : si cela peut permettre des miracles l’une ou l’autre année, ce n’est néanmoins pas comme ça que les clubs de MLS vont devenir les meilleurs de la Concacaf (lisez la toute fin de l’article « One last thing »).