Le rêve américain de Nogueira et Pierazzi

L’hiver dernier, deux Français au sommet de leur art ont quitté leur club formateur et la Ligue 1 pour la Major League Soccer.


Il faut parfois faire des sacrifices pour saisir une occasion. Pour une aventure en Amérique, Vincent Nogueira et Jean-Baptiste Pierazzi sont partis des clubs qui les avaient aidés, eux, garçons du coin, non seulement à se rendre en première division, mais aussi à y exceller. Après 293 matchs de Ligue 1, ils ont quitté leurs clubs chéris, imprimés dans la fibre de leurs êtres, pour l’inconnu : Philadelphie et San José.


À 26 ans, Nogueira était cadre au Football Club Sochaux-Montbéliard. Né à Besançon, à une heure du Stade Auguste Bonal, il était adolescent lorsqu’il a intégré le centre de formation de Sochaux. Au moment de son départ vers la MLS, cinq saisons de régularité avaient fait de lui le métronome que tentait de dérégler l’adversaire.


Pierazzi avait 28 ans lorsqu’il a quitté son île méditerranéenne, la Corse. Son soccer, il l’a joué sur la principale ville de l’île, Ajaccio – bien connue à titre de lieu de naissance de l’empereur Napoléon Bonaparte et moins célèbre à titre de lieu de naissance de la chanteuse Alizée. Dévoué à la cause de l’AC Ajaccio, Pierazzi en est devenu le capitaine au cours de la saison 2011-2012, quelque 15 ans après s’être joint à l’ACA.


Sochaux et Ajaccio sont tous deux descendus en Ligue 2 quelques mois après le départ de ces deux hommes en MLS. En vérité, le mal était fait : ensemble, Sochaux et Ajaccio n’ont gagné que trois rencontres de Ligue 1 dans la dernière demi-saison qu’y ont passé Nogueira et Pierazzi.


Comme d’autres avant eux, le duo a suivi les traces du tout premier représentant de l’Hexagone en MLS, Youri Djorkaeff, champion du monde en 1998 et pilier de l’équipe de New York en 2005 et 2006. Certains, comme Djorkaeff, se sont promenés avant de rejoindre la MLS – les Thierry Henry, Aurélien Collin et autres Peter Luccin. D’autres, comme Sébastien Le Toux et Hassoun Camara, n’avaient connu que le foot français.


Nogueira et Pierazzi ont connu un nouveau départ.


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Vincent Nogueira pourrait être canadien : « Je suis vraiment, vraiment désolé ! »


Malheureusement pour les partisans des Rouges, il ne l’est pas. Il m’explique poliment que son ordinateur recevait mes appels Facetime à la place de son téléphone, ce qui a retardé notre rendez-vous. L’attente en vaut la peine. Nogueira revient de quelques jours dans les Alpes ; il s’exprime bien, il est drôle, et il est honnête.


Pierrazi, pour sa part, prend du bon temps dans le sud de la Californie. Quelques semaines encore le séparent d’un retour en Corse, qu’il appelle « l’une des plus belles îles du monde », mais il cache bien son impatience. Il ne peut s’empêcher d’échapper un petit rire de temps à autre au cours de cette conversation avec un reporter francophone, ce qui ne lui est probablement pas arrivé depuis un certain temps.

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« Vincent, je le connais en tant qu’adversaire. Il y a un grand respect entre nous. Chaque fois que mon équipe jouait contre Sochaux, il a toujours été le joueur auquel nous devions faire attention. Il a beaucoup de talent. C’est toujours un plaisir de jouer contre lui. J’espère qu’il ne nous fera pas trop de misères en 2015, parce que c’est vraiment un bon joueur ! » Jean-Baptiste Pierazzi


Ils méritent leur congé. Ni l’un ni l’autre n’a vraiment pris de repos entre la France et ce déménagement aux États-Unis.


Avec une demi-saison dans les jambes, les deux joueurs ont filé jusqu’à la préparation de leurs équipes respectives pour quelque 10 mois de soccer. Pierazzi s’est vite fait mal au pied et a joué malgré la douleur jusqu’en avril. Nogueira a senti son corps – ses adducteurs tout particulièrement – le supplier de ralentir au cours de l’été, lorsque la saison prend fin en Europe.


Ils ont joué pendant 18 mois sans vraiment s’arrêter. Mais la fatigue n’allait pas leur donner le mal du pays.


« Je m’étais dit que je voulais faire toute ma carrière dans mon club formateur, se rappelle Pierazzi. Mon rêve le plus fou était de porter mon club formateur dans une Coupe d’Europe. Après, c’était un choix de vie. J’ai eu la possibilité de réaliser des rêves grâce à mon métier. Je me suis dit qu’il ne fallait pas que je passe à côté. On ne vit qu’une fois. »


Nogueira est du même avis.


« J’ai fait preuve d’un peu d’impatience, parce que la plupart des joueurs viennent en MLS un petit peu plus tard car on estime que le niveau est un peu moins bon et que c’est plutôt un choix de fin de carrière, concède-t-il. Mais ça commence à être un petit peu différent. Je voulais voir autre chose, et j’ai pris l’aspect vie personnelle un peu plus en considération que l’aspect sportif. En un rien de temps, on se retrouve à l’autre bout du monde, mais on fait quand même le sport qu’on aime. C’est génial.


« C’est de la découverte. C’est un pays attractif comme on en voit peu dans le monde. C’est un pays immense où on peut vivre des choses géniales. »


Mais il fallait d’abord jouer au soccer. Le style de jeu de la MLS ne les a pas déstabilisés, mais Nogueira, naturellement porté à jouer plus en retrait, a dû faire quelques compromis. La présence des Amobi Okugo, Maurice Edu, Brian Carroll et Michael Lahoud sur l’effectif de l’Union a replacé Nogueira en numéro 10 pour de nombreux matchs.


Nogueira se souvient d’avoir joué « à tous les postes possibles au milieu de terrain ». Il n’en a donc pas fait de cas, même s’il accepterait volontiers une place régulière de numéro 6.


« Je fais des performances un peu plus complètes en étant plus numéro 6 que numéro 10, soutient-il. C’est le poste que j’affectionne le plus. Et c’est le poste où je pense être le plus performant.


« Le patron, c’est l’entraîneur. Il me met où il veut, et je n’ai rien à dire. Il m’a fait jouer un petit peu plus haut. C’était son choix. S’il l’a fait, c’est qu’il estimait que c’était la meilleure solution pour l’équipe. »


Un poste de milieu en retrait, voilà aussi la préférence de Pierazzi. Dossier prioritaire de l’entre-saison de l’ancien entraîneur en chef des Quakes, Mark Watson, Pierazzi a assumé de grandes responsabilités, surtout défensives, au milieu. Il se rappelle avec bonheur de récupérations de balle ayant directement mené à des buts. Il a aussi marqué un sacré but sur la pelouse du FC Dallas (« Je ne sais même pas si je vais en marquer un autre comme ça un jour. »)

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« Jean-Baptiste, je l’ai rencontré une ou deux fois en professionnel quand il jouait à Ajaccio. J’ai joué à Ajaccio peu de temps après qu’il soit parti, une semaine avant que je signe à Philadelphie. C’est son club formateur, il était capitaine, et il y avait une grande banderole pour lui. J’ai trouvé ça très touchant. Il est Corse, et il faut savoir que les Corses sont vraiment très attachés à leur île, à leur ville. C’est encore plus dur pour lui d’avoir quitté Ajaccio et la Corse. Je trouve ça étonnant qu’il ne joue pas tous les matchs comme titulaire à San José. » Vincent Nogueira


Mais pour Pierazzi comme pour Nogueira, la notion de réussite passe par les partenaires. Hélas, leurs deux équipes ont raté la phase finale. La dernière victoire des San Jose Earthquakes remonte à début août. Ils ont terminé bons derniers de l’Ouest, derrière des Rapids en reconstruction et une équipe qui n’existe même plus. Les Earthquakes, eux, continueront d’exister dans un nouveau stade.


Le Philadelphia Union de Nogueira a frôlé les séries, ce qui rend le tout plus cruel encore. Sixièmes de l’Est, ils ont aussi perdu la finale de la Coupe des États-Unis. « Ce sont les deux places qui ne servent à rien, en fait, ajoute Nogueira en rigolant. Elles ne sont pas trop mal, mais elles ne servent à rien. C’est difficile, comme compétiteur, d’avaler ça. »


Les ratés ont mené à l’inévitable : un changement d’entraîneur. Nogueira a vu John Hackworth perdre son emploi en juin. Avec Jim Curtin à la barre, Philadelphie a presque repris la bonne direction – presque.


« C’est un échec par rapport à ça, et tout le monde est concerné, tout le monde est coupable, moi le premier, admet Nogueira. C’est regrettable quand même qu’il y ait eu autant de changement pour, au final, ne pas atteindre nos objectifs. »


San José a relevé Mark Watson de ses fonctions à deux journées avant la fin de la saison régulière, ce qui a mis des bâtons dans les roues de Pierazzi. L’entraîneur par intérim, Ian Russell, l’a exclu de la liste des 18 pour la première de ces journées et l’a laissé sur le banc pour la seconde. Sans rancune, maintient Pierazzi, qui ajoute que sa relation avec Russell est intacte.


« Ian a fait ses choix. Il avait deux matchs pour sa nouvelle carrière d’entraîneur. Il a fait des choix qu’il pensait être bons. Après, je n’ai pas à discuter de ces choix-là. Je n’ai pas eu de blessure ou quoi que ce soit. »


Pierazzi n’a pu discuter que brièvement avec le nouvel entraîneur des Earthquakes, Dominic Kinnear. Il ignore pour l’instant les plans de ce dernier, mais une chose est sûre : Pierazzi a un contrat en poche pour 2015. Nogueira aussi, à Philadelphie.


Tous deux voulaient vivre cette aventure américaine un jour. Aucun ne savait quand ça arriverait. Aucun ne sait quand ça se terminera.


« Je ne sais pas du tout combien de temps j’y resterai, confie Nogueira. C’est une chose à laquelle je n’ai pas envie de réfléchir. C’est pour ça que je suis arrivé en MLS ; si je ne raisonnais pas comme ça, je ne serais pas en MLS. »


« J’espère y rester le plus longtemps possible et réaliser ce rêve de gagner le championnat, ajoute Pierazzi. Ce serait magnifique. En tant que Corse, je serais peut-être le premier Corse à gagner un championnat aux États-Unis dans un sport collectif. Ce serait un moment magique. »