20 ans, 20 histoires

D.C. United and San Jose Clash play in first MLS game, 1996

Cette semaine, la MLS a fêté ses 20 ans en grand. Ce fut l’occasion de mieux connaître les pionniers de cette époque et de découvrir des histoires passionnantes. Je tenais à partager en français avec vous certaines d’entre elles, publiées ces jours-ci, en 1996 ou entre temps. Avec, bien entendu, un accès à leurs sources si vous voulez en savoir plus.


LA GENÈSE

Cet article de Sports Illustrated parle des pionniers de la MLS, mais j’ai choisi le très biblique « la Genèse » pour le résumer tant il est riche en informations, intéressant et passionnant. Si vous ne devez lire qu’un des textes mentionnés ici, lisez celui-là. Et même si vous ne compte en lire aucun, lisez-le quand même.


Difficile de retenir une histoire… Je vous laisse découvrir celles de Wynalda qui invite dans le vestiaire un vieux saoul qui crie sur son entraîneur, du Colombien qui ne savait pas qu’on payait sur un compte en banque et non dans des enveloppes, des joueurs qui devaient faire leur lessive, de Jorge Campos qui se fait offrir une Ferrari, du joueur dans un mur à l’entraînement avec son téléphone cellulaire et vais éviter de répéter celles qui sont déjà dans l’émission Coup Franc spéciale 20 ans.


Alexi Lalas (vedette de l’équipe nationale américaine) 1 : « Je faisais partie des gars chanceux qui avaient la possibilité de dire “Voilà où j’aimerais aller”. J’avais une vision romantique de Boston, basée sur les voyages que j’avais effectués avec l’équipe nationale, où nous sortions et où je m’amusais tellement. Mon choix a ainsi été effectué en fonction des bars de la ville. »


Sunil Gulati (en charge du recrutement des joueurs ; président actuel de la Fédération américaine) : « J’ai été dans quatre pays le même jour, et j’ai eu des réunions dans les quatre. Le matin, en Allemagne, je rencontrais Andreas Brehme, qui avait marqué le but de la victoire de l’Allemagne à la Coupe du monde 1990. Ensuite, une rencontre avec Donadoni à l’aéroport de Milan. J’avais un vol de Milan à Londres, où j’ai rencontré Bobby Houghton à Heathrow car Colorado pensait à lui pour le poste d’entraîneur. Après, j’ai pris un vol vers New York, où j’avais un souper (avec Rothenberg et Logan, d’autres dirigeants). »


Dans le même ordre d’idées, en moins croustillant tout en restant très intéressant, Complex Sports raconte l’histoire de la première saison. Vous en apprendrez entre autres plus sur les règles auxquelles on a échappé (qui ne se retrouvent pas toutes dans cette seule citation). Alan Rothenberg (Président de la MLS) : « Nous discutions de quelques adaptations venues du hockey. L’une d’entre elles concernait le hors-jeu : dès que vous entriez dans le grand rectangle, sans être hors-jeu, tant que le ballon y restait, il n’y aurait plus de hors-jeu. Dans le but d’encourager les équipes à presser et peut-être pour forcer les pertes de balle, si un défenseur avait volontairement dégagé en touche pour éviter le pressing, un coup franc aurait été accordé à l’endroit du dégagement. L’autre idée était, en gros, de pouvoir passer derrière le but, comme en hockey, en y ayant une partie de terrain. »

20 ans, 20 histoires -

Sur le site de San José, un article revient sur ces débuts modestes. Un résumé très succinct qui vous donnera quelques bases. « Une fois que les équipes étaient composées, l’étape suivante consistait à s’assurer de la bonne qualité du produit sur le terrain. Les équipes n’avaient pas leurs propres installations d’entraînement et jouaient leurs rencontres dans des stades de football (américain). »


HAUTS EN COULEURS

À l’époque, de nombreux dirigeants pensaient qu’il fallait séduire une frange du public qui, finalement, n’aura jamais été acquise à la cause du soccer. Changer les règles était une des idées à cette fin, les choix des dénominations, logos et images des clubs en était une autre. En plus d’être les protagonistes du premier match, San José et DC United étaient à l’opposé dans ce domaine : le club de Washington faisait partie des rares traditionnalistes alors que les Californiens étaient parmi les nombreux partisans de l’américanisation forte.


MLSsoccer.com vous raconte comment leur image a été bâtie. Vingt ans plus tard, force est de constater que les choix les plus proches de la culture soccer ont été les plus durables. À l’époque, la dénomination Clash faisait le bonheur du PDG du club, Peter Bridgwater : « C’est une dénomination enthousiasmante, innovante, non-traditionnelle et provocante, exactement le genre de choses que l’on veut dans une ligue (…) (Un nom qui convient à) une équipe agressive et offensive, qui gagne plutôt 4-3, pas 1-0. »


De quoi donner l’envie de découvrir les descriptions complètes des dénominations et logos de l’époque. Exemple ? Le Kansas City Wiz, où la véritable magie est apparue après un « rebranding » complet en 2011. « La dénomination du club de Kansas City appelle aux armes les fans de sport des Grandes Plaines afin qu’ils vivent la magie de la Major League Soccer. Face à face, bicyclettes et têtes plongeantes constitueront la potion magique des sorciers du soccer de Kansas City. » Abracadabrantesque, n’est-il pas ?


Pour les plus curieux, voici la liste complète des joueurs de l’époque, club par club. Il y en a pour tous les goûts : vedettes internationales du moment, internationaux américains, futurs cadres de la MLS, entraîneurs actuels et pas mal d’illustres inconnus. Vous pouvez même lire les biographies de ce beau monde, et découvrir par exemple que deux d’entre eux venaient en droite ligne de Montréal (Steve Trittschuh et Pat Harrington) alors que Jean Harbor y avait joué précédemment, à l’Impact, tout comme Iain Fraser, du temps du Supra.


LE 6 AVRIL 1996

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Vint enfin le jour tant attendu, celui du premier match, que MLSsoccer.com vous raconte des prémices de la MLS au coup de sifflet final, en compagnie, là encore, d’une grande quantité d’acteurs importants de l’époque, travaillant tant sur le terrain que dans les bureaux. Et qui étaient nombreux à avancer à vue, ne sachant pas toujours dans quoi ils s’embarquaient, mais fier de poser les fondations d’un grand projet.


Laurie Calloway (entraîneur de San José, qui entraînait debons joueurs qu’il n’avait jamais vu jouer) : « Je n’avais jamais vu jouer ni Michael Emenalo ni Ben Iroha. Certaines cassettes étaient disponibles et circulaient entre les entraîneurs. Dave Dir, à Dallas, avait les cassettes d’Emenalo et d’Iroha et je n’ai pas pu mettre la main dessus. Ce n’était pas comme s’il y avait 10 cassettes ou 10 copies. On se les passait simplement dans la ligue, à travers tous les États-Unis. C’était un processus bizarre. En fin de compte, tu avais ce qu’on te donnait. » Et dire que de mon côté, j’avais vu Emenalo en action au stade à de nombreuses reprises… mais j’étais trop jeune pour donner un avis éclairé à un entraîneur dont, de toute façon, je n’avais jamais entendu parler.


Jeff Agoos (joueur de DC United, international américain très connu) : « Nous ne jouions pas dans un pays étranger. Ce n’était pas un match de l’équipe nationale. La plupart des joueurs étaient américains. Nous passions à la télévision américaine, sur ESPN, ce qui ne s’était jamais produit auparavant pour un match national. C’était quelque chose de très spécial et je pense que tout le monde sur le terrain, tout le public, tous les joueurs, tous les entraîneurs et les équipes techniques, les arbitres, je pense qu’ils ressentaient tous cette même chose, cette unité, que nous faisions quelque chose de spécial. »


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ESPN a mené un exercice similaire, offrant le regard des protagonistes 20 ans plus tard. On y plonge encore dans les circonstances folles de l’époque, en apprenant notamment que le président de la Fifa Joao Havelange a failli rater le match ou que celui-ci aurait pu être annulé en raison de marques non réglementaires sur le terrain. Le stress des joueurs n’avait d’égal que celui des dirigeants inquiets à l’idée d’un 0-0. Paul Bravo (joueur de San José) : « Ce trajet en bus entre l’hôtel et le Spartan Stadium… Je n’avais jamais été si nerveux de ma vie, et si enthousiaste en même temps. C’était un trajet assez surréaliste pour les gars. Je pensais être arrivé en passant de la passerelle au terrain, et ensuite entendre le grondement de la foule m’a glacé les os. J’en ai encore la chair de poule quand j’y pense. »


Vingt ans plus tard, le club de San José publie un long entretien avec Calloway qui raconte, entre autres, comment était l’ambiance en bord de terrain ce jour-là. « Je me rappelle de son côté intime. Beaucoup de gens sont venus sur le terrain avant le match et m’ont félicité d’avoir eu cet emploi. Il y avait des visages dont je me souvenais, d’autres que je n’avais jamais vus auparavant, mais c’était une expérience mémorable. »


Pour revivre tout cela, rien de tel que de regarder en intégralité la retransmission du match. Alors qu’il restait moins de trois minutes à jouer et qu’on se dirigeait vers le 0-0 tant redouté, Phil Schoen a commenté le but libérateur en ces mots : « Wynalda. Wynalda du pied gauche. Sur son droit maintenant. Tente de tirer… il l’envoi au deuxième poteau… Buuuuuuuuuuuut ! But d’Eric Wynalda ! San José a marqué un but incroyable ! » 1-0, score final, à l’issue d’un match qualifié de « plus mauvais de l’histoire » par Bruce Arena, mais ce jour-là, le spectacle et le scénario importaient beaucoup plus que la qualité technique et la tactique.


DES SUPPORTERS DE L’ÉPOQUE

Au stade ou devant leur télévision, ce 8 avril 1996, des supporters encourageaient un club qui disputait pourtant le premier match officiel de son histoire. Mais ils étaient heureux car ils pouvaient enfin parler de « leur club », comme en témoigne Peter G qui évoque les premiers rois de la MLS sur Football 365 : « On dit qu’on ne choisit pas son club de football, que c’est lui qui vous choisit. Mais la MLS était une toute nouvelle compétition, et à ce moment-là j’avais déménagé dans la campagne de Pennsylvanie, à plusieurs heures de quelque stade que ce soit. Donc, je n’avais ni histoire ni intérêt local pour m’influencer, aucun terrain sacré pour m’enchanter. Je devais choisir, choisir immédiatement sous peine de me retrouver sans club au moment du départ de la grande aventure. J’ai choisi DC United. En vérité, parce que c’était géographiquement l’équipe la plus proche. Mais ils avaient également le maillot à domicile le plus cool (tout noir !), le nom le plus traditionnel (Kansas City Wiz ? S’il vous plaît…) et deux excellents joueurs de l’équipe nationale, John Harkes et Eddie Pope. Une équipe louable avec des héros louables. »

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Ted Ramey, alors âgé de 13 ans, et son frère marchent aujourd’hui sur les traces de leur père, commentateur sportif à San José, qui les avait bien entendu amenés au stade, leur parlant de la défunte NASL durant tout le trajet. Il raconte la journée d’un adolescent ayant baigné dans le milieu du sport qui a alors découvert que le soccer n’était pas un sport comme les autres : « À l’intérieur du stade, je ne dirais pas que l’ambiance était folle, mais elle était différente de celle de tous les évènements sportifs auxquels j’avais assisté et dont je pouvais me souvenir. Il y avait un niveau d’organisation des supporters qui n’était pas manifeste aux rencontres des A’s ou des Giants, et je me souviens d’avoir mentionné qu’avoir déjà des supporters inconditionnels était incroyable pour une équipe et une compétition toujours en attente d’un premier match. »


Parmi les gens au stade de San José le 6 avril 1996 et un peu moins de 20 ans plus tard, Chris Wondolowski. Dans les tribunes la première fois, sur le terrain la seconde. De quoi raconter des souvenirs et regarder 20 ans d’évolution à Sky Sports: « C’était agréable à regarder, c’était tout simplement bruyant. Je me souviens que j’étais enthousiaste à l’idée d’avoir du soccer professionnel dans la région, et la ferveur de la Coupe du monde 1994 était toujours là. Jouer au soccer était ce à quoi nous aspirions. Je me souviens que j’allais voir les rencontres (de soccer intérieur) des Grizzlies avant cela, et je pensais que c’était cool d’avoir du soccer professionnel. »


ET APRÈS ?

Beau travail de recherche de MLSsoccer.com pour retrouver les protagonistes de ce match et savoir ce qu’ils sont devenus aujourd’hui ou en tout cas ce qu’ils ont fait par la suite car il n’a pas été facile de pister la trace de tout le monde. Saviez-vous que l’actuel directeur technique de Chelsea était sur le terrain ce jour-là ? Parmi eux, on retrouve aussi l’actuel directeur général de San José, un consultant pour une grande chaîne de télévision, le directeur technique de Colorado, l’entraîneur adjoint de Salt Lake, un joueur ensuite devenu une vedette dans le club anglais de Preston, le directeur des compétitions de la MLS ou encore un membre du comité olympique bosnien.

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Sur le terrain lors du premier match de la saison, DC United l’était également lors du dernier, remportant la Coupe MLS 1996 à l’issue d’un duel épique contre Los Angeles. Plongez dans le terrain inondé, au sens propre, et revivez cet autre moment historique. Les trombes d’eau noient Boston, les Californiens mènent 2-0 mais vont s’incliner au but en or (durant quelques années, dès qu’une équipe marquait en prolongation, elle avait gagné). Pour finir de rendre le scénario complètement surréaliste, le grand artisan de ce retournement de situation, Marco Etcheverry, a mis du temps à se rendre compte que le match était plié : « En vérité, je n’avais jamais joué un match avec un but en or. Après notre but, j’ai vu tout le monde célébrer de manière euphorique et je pensais simplement que c’était parce que nous avions pris l’avance. Je ne pensais pas que le match était fini. Je pensais que c’était notre troisième but et qu’on le fêtait beaucoup. Et j’ai célébré avec eux. Mais quand j’ai vu que personne n’allait remettre le ballon en jeu, j’ai réalisé que le match était fini. »


Après la rencontre, il était temps de faire le bilan de la première saison. Cet article de l’époque dans le New York Times montre qu’il était positif, notamment grâce à la moyenne de 17 416 spectateurs par match, alors que l’objectif était de 10 000. Encouragés, les dirigeants demeuraient prudents. Doug Logan (commissaire) : « Nous avons dépassé nos attentes d’environ 80 pour cent. Mais j’adopte l’approche réaliste voulant que vous ne vous implantez pas grâce au succès d’une saison. Je suis un étudiant en histoire et j’espère que je ne vais pas commettre les mêmes erreurs que mes prédécesseurs. »


Il n’avait pas tort : pendant 10 ans, la Major League Soccer a connu de nombreux soubresauts. Elle a été capable de changer et d’évoluer à de nombreux égards. Certains anecdotiques, d’autres indispensables. Cet article répertorie certaines des modifications qui ont eu lieu en 20 ans. Parmi les plus triviales : la pose des gardiens sur les photos. « Durant la première saison de MLS en 1996, les gardiens de but avaient tendance à croiser leurs bras sur leur poitrine et à poser leurs mains sur leurs épaules lors des photos de l’équipe qui commençait le match. Pourquoi, demandez-vous ? Nous aimerions pouvoir vous le dire ! », se demande-t-on sur le site de San José. Voilà la réponse : ces années-là, les marques de gants ont commencé à vouloir que l’on voit leur nom sur les photos officielles. C’est une des positions que les gardiens avaient alors adoptées pour la montrer.


Cet article de Steve Davis sur World Soccer Talk entre davantage dans les détails des progrès remarquables effectués par la MLS en 20 ans. Jouer dans son propre stade a été l’un des changements clefs : « La MLS a commencé avec une bande de locataires, généralement de terrains très peu adaptés dans des domaines importants. Les terrains étaient trop petits, et les surfaces trop synthétiques à trop d’endroits. Tout le monde reconnaissait le besoin financier de stades, mais peut-être que personne parmi nous ne pouvait en saisir l’importance primordiale. Contrôler les dates est tellement important et change tellement la dynamique de négociation des contrats TV. »


Peu de championnats ont évolué aussi vite que la MLS entre 1996 et 2016. Alors, qui sait où elle en sera dans 20 ans ?




La fonction des gens cités est celle qu’ils occupaient à l’époque.