Alajuelense : visite du stade et chaude soirée avec les supporters


Dimanche 5 avril. Aucun match de prévu au stade Alejandro Morera Soto, à quelques encablures de mon hôtel. Je décide néanmoins d’y aller. D’y retourner en fait, parce que j’avais déjà visité l’endroit au matin. Montréal est censé s’entraîner vers 16h00 et n’a pas fait savoir où. Ce n’est pas bien grave puisque la séance est à huis clos. Mais sait-on jamais…


Je sors, il est presque 17h00. Au coin de la rue, le bar La Liga. Avec un gros logo du club au-dessus de la porte. Impossible de se tromper sur sa vocation et le public qui le fréquente. Les rues sont calmes en ce dimanche de Pâques. Tout ou presque est fermé. Difficile de se restaurer. Les gens sont chez eux. Quelqu’un semble avoir mis la musique à fond, des basses résonnent lourdement.


Je m’approche du stade, la musique s’est calmée. Pourtant, elle venait bien de là. Je tourne le coin, et je tombe sur une marée de gens en maillot rouge et noir. Mais que se passe-t-il ? Les supporters sont amassés devant les guichets, pourtant bel et bien fermés. D’ailleurs, tous les billets pour le duel de mardi sont vendus depuis longtemps. Il n’y a pas non plus de match aujourd'hui, l'équipe a lamentablement perdu la veille en alignant ses réservistes. Je me renseigne, avec mon espagnol plus que rudimentaire. La réponse qui revient le plus souvent : c’est une réunion de motivation pour les supporters !

Alajuelense : visite du stade et chaude soirée avec les supporters -

Le stade d'Alajuelense, ses tribunes à pic, avec, au loin, des volcans qui reflètent bien l'ambiance qui y règne les jours de match... mais parfois aussi à d'autres moments.


Oui, vous avez bien lu. Deux jours avant le match, sans raison apparente, les supporters les plus fervents vont devant le stade et chantent comme s’ils étaient dans la tribune ! L’un ou l’autre me dit aussi que la rumeur courait que Montréal viendrait s’entraîner ce soir. Difficile de savoir d’où elle sort, puisque même les principaux intéressés n’ont connu leur lieu d’entraînement qu’à la dernière minute, et qu’il était bien loin de là. Mais, au cas où, il y aurait eu un comité d’accueil pour faire forte impression. De toute façon, ce n’était qu’une rumeur, peu de monde m’en a parlé, et une chose est sûre : tous les supporters présents auraient été là, entraînement de Montréal ou non.


À peine le temps d’en savoir plus, et l’ambiance est relancée. La fanfare s'en donne à cœur-joie. Ça chante, ça saute, ça danse dans tous les sens. À quel point le match de mardi est-il important pour les supporters d’Alajuelense ? Très important ? Méga important ? D’une importance plus que gigantissime ? Non, encore plus important que ça ! Les paroles de la moitié des chants, sûrement habituels au stade, avaient été modifiées pour y introduire les mots mardi et gagner. Ça en dit long.


Il y de l'entrain dans les cœurs. Tout le monde y croit. Soudain, silence. Ou plutôt, les chants se font plus calmes pour céder la place à des sirènes de motos de police. Une partie des supporters se précipite. On croit qu’elles escortent l’ennemi montréalais. Les sifflets se font entendre. Mais les éclaireurs reviennent déçus : ce sont juste des policiers qui sont là au cas où il y aurait des débordements. Ils se postent un coin de rue plus loin, observent et se font discrets. Ils ne sont pas très nombreux, une dizaine tout au plus, et n’auront jamais à intervenir.

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Indoor soccer. Oui, vous avez bien lu. Et, oui, on est toujours dans le stade d'Alajuelense, qui a aussi une vocation sociale.


Ça donne l’occasion de faire une pause. Il fait chaud, et il faut boire beaucoup. Le sympathique hôte de mon hôtel me l’a aussi vivement conseillé. Quant à la propriétaire des lieux, elle m’a appris que, comble du hasard, dans la chambre à côté de la mienne loge… un joueur d’Alajuelense. Un Brésilien arrivé au début de l’année avec un contrat d’une demi-saison. Tant qu’il n’en sait pas plus sur son avenir, il reste installé ici. Il déménagera s’il signe pour plus longtemps.


Fin de la pause. Les chants peuvent reprendre. Personne n’est parti, évidemment. Le trompettiste est particulièrement en forme. Il donne le rythme, tout le monde connaît bien entendu les paroles et sait quand il faut taper des mains, chanter ou sauter. Cette ambiance me prend aux tripes. Je n’ai jamais autant regretté de ne ni parler ni comprendre l’espagnol.


Les supporters sont environ 500 à vue de nez. De tous âges. Les jeunes dans la vingtaine et début trentaine sont majoritaires. Certains sont âgés de quelques mois ou de quelques années à peine. Je regarde l’un d’entre eux passé des épaules de son père à celles de sa mère en me disant qu’il a de la chance d’être là. Pas de vivre cet instant précis, dont il ne se souviendra probablement pas, mais de se faire passer le virus de ce sport que nous aimons tant. Dans 15 ans, c’est peut-être lui qui lancera les chants. Non loin de lui, une jeune fille en fauteuil roulant.

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L'entrée des loges, rare lieu de luxe d'un stade où règne une grande ferveur populaire.


D’autres sont beaucoup plus anciens. Soudain, devant moi, une femme d’un âge plus qu’avancé mais en toute grande forme, me voyant certainement plus calme que la moyenne et même pas aux couleurs d’Alajuelense, vient me taper dans les mains et m’invite à danser avec elle ! Elle m’expliquera qu’elle supporte le club depuis 50 ans, et me montrera fièrement sa place d’abonnée dans la tribune populaire ouest. Comment lui refuser ça ? Ainsi, si vous me voyez danser avec des supporters sur une vidéo sortie de nulle part, vous savez comment ça a commencé. Quoi, Rachel Bonnetta n’est pas la seule à y avoir droit !


Les supporters m’interpellent. Me demandent d’où je viens. Cheveux clairs, peau à moitié blêmie par l’interminable hiver montréalais et à moitié couleur rouge-écrevisse suite à un coup de soleil, ce n’est pas courant dans le coin ! Comment vais-je être accueilli ? Je la joue en deux temps. Je commence par dire que j’ai grandi en Belgique. Directement, on me parle avec fierté d’Oscar Duarte, joueur de Bruges venu d’Alajuelense (et auteur d’un but à la dernière Coupe du monde).


Rapidement, j’enchaîne quand même en expliquant que désormais, je vis au Canada et suis journaliste. Les réactions ne sont pas hostiles, même si j’ai bien entendu droit à quelques regards réprobateurs (mais pas méchants) et pouces vers le bas. Ça n’empêche pas les conversations de continuer. Tout le monde autour de moi est évidemment persuadé de l’issue favorable à leurs favoris mardi.


Et puis, la discussion avançant, je leur explique qu’ils m’ont conquis. Que je découvre le foot sur place au Costa Rica et qu’entre tous les clubs du pays, avec ce que je vis aujourd’hui, “mi corazon esta Alajuelense”. Joie comme si leur équipe avait marqué en but. Enfin, non, quand ils marquent, ça doit être bien plus fou que ça. Leur fierté fait chaud au cœur. Et l’allégresse se poursuit quand je tente de dire que c’est tout naturel pour un gars qui grandi à Bruxelles avec le cœur rouge et noir, et anti-mauve (couleur de Saprissa, ennemi juré d’Alajuelense).

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Les supporters d'Alajuelense sont à la fois lions, sympathiques et accueillants. Cette image souhaitant la bienvenue et décorant l'entrée du vestiaire de leur équipe les représente bien.


Il n’y a toutefois pas de haine malsaine envers le rival. D’ailleurs, un supporter clairement affiché mauve est passé en voiture dans la rue. Un seul être vêtu de rouge et noir a réagi plus durement : un chien, car il y en avait un autre à l’arrière du véhicule. En voilà un qui veut protéger son territoire. En matière de respect, l’inverse est tout aussi vrai. Dans l’après-midi, j’ai fait le trajet entre Belen et Alajuela en voiture avec Kevin, un supporter de Saprissa qui m’a gentiment offert de m’accompagner en m’expliquant que c’est ça la « pura vida, et 100% tico ». Il avait évidemment vu le match au Stade olympique de Montréal, et en avait long à dire.


Comme les journalistes costariciens présents ce jour-là, il pense qu’Alajuelense n’a rien montré et était méconnaissable. Il s’emporte par contre quand je lui demande de parler de l’arbitre : pour lui, faire des reproches au directeur de jeu est une excuse facile. Son souhait, comme celui de tout le pays me dit-il, est de voir les deux clubs du Costa Rica – Alajuelense et Heredia, deux ennemis de Saprissa – atteindre la finale de la Ligue des champions. Pour mardi, il pronostique une victoire 3-0 des rouge et noir, ou alors un succès après prolongation. « Ce sera très dur pour Montréal, croit-il. Leur seule chance de passer est d’inscrire un but en première mi-temps. S’ils n’ont pas marqué à la pause, ils ne le feront pas après. Et alors, Alajuelense émergera. »


Fin de cette digression, retour au stade. Les supporters veulent poser en photo à mes côtés. D’accord. On me met un drapeau du club local sur le dos. C’est gentil… mais je vais quand même mettre une limite au dépassement de ma neutralité journalistique de la soirée. Ils sont déçus mais ne le prennent pas mal. Puis soudain, on me dit, de manière sympathique : « arrête de discuter, on est là pour chanter, taper des mains et danser ». C’est vrai, c’est une réunion de motivation, il ne faut pas l’oublier !

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Dimanche matin. Deux jours avant le match, une cinquantaine de supporters se réunit afin de finaliser les plans pour l'ambiance qui devra régner mardi. Ils ont aussi préparé un tifo, dont je n'ai presque rien vu... ce qui était déjà beaucoup trop à leurs yeux.


Le soir tombe, les gens se dispersent. Certains sont là depuis bien plus tôt ce matin. D’ailleurs, à cette heure-là… j’y étais aussi. Encore une fois, un peu par hasard. Enfin non, je voulais évidemment voir le stade. Mais je ne savais pas qu’il serait ouvert, et encore moins qu’une frange de supporters serait à l’intérieur.


Il n’est pas grand, mais il est impressionnant. Le garde de sécurité m’autorise bien gentiment à entrer et à prendre des photos. Merci, un grand merci ! Les quatre tribunes sont très à pic. Il y a quelques sièges en haut des latérales, des loges aussi, mais pour la plupart des places, on a simplement droit à des blocs de béton hauts de deux marches. On peut y être aussi bien assis que debout. Sur les buts, s’il y a des poussées, il faut avoir un bon équilibre !


Tout est rouge et noir, à l’exception des escaliers en jaune et de quelques inscriptions en blanc. De toute façon, mardi, on n’en verra rien, toutes les places seront occupées. Et tout sera également rouge et noir… L’endroit est modeste dans la mesure où il n’y a pas grand luxe. De toute façon, on n’est pas dans un hôtel pour milliardaires mais dans un stade de foot populaire. Et je peux vous l’affirmer, ça sent le foot à plein nez. Oui, cette odeur indescriptible que je ne peux malheureusement pas vous transmettre…

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Non, ce n'est pas l'entrée du stade mais bel et bien une porte cachée par un but lui-même derrière une tribune. N'essayez pas de l'ouvrir, il y a juste un mur derrière.


Et pourtant, il y a ce terrain artificiel qui fait vraiment tache. Comme si Jacques Villeret avait joué le héros d’un film de kung fu. Donc, cette odeur, ce n’est pas celle du gazon fraîchement taillé. Ni celle de la ville, fortement influencée par la chaleur permanente et sûrement un autre truc mystérieux à mon nez. Non, celle du stade me rappelle des souvenirs qui commencent à être enfouis loin dans ma mémoire. Ceux de lieux qui, comme celui-ci, respirent bon le terroir sportif, sont chargés d’histoire, mais aussi simples et efficaces, sans artifices, avec toute l’attention focalisée sur le terrain, et où l’on sait que si on est un supporter local, on va passer de grands moments, en garder dans la tête et dans le cœur pour toute la vie. Une deuxième maison remplie d’amis pour tant de supporters, nombreux à déambuler dans les rues en arborant fièrement le maillot du club.


Je fais le tour de l’enceinte, une fois à l’intérieur, l’autre derrière les tribunes. Toutes les grilles de séparation sont ouvertes. Tant mieux ! Par endroits, des grillages pour empêcher les envahissements de terrain. Ils gâchent la vue mais me rappellent ma jeunesse molenbeekoise, quand après un but c’était la course à qui y serait en premier pour faire tourner son écharpe. Bon, je m’égare. Un peu plus loin, des machines à laver tournent à plein régime. Avec les maillots de joueurs ? Je ne vais pas déranger la brave dame qui s’occupe de la lessive.


Après un passage devant les vestiaires (avec un bruit de fuite d’eau près de celui des visiteurs, à moins qu’il ne vienne de celui des jeunes, adjacent), trois petits terrains couverts derrière une tribune avec la mention « indoor soccer ». Quoi, il y a du monde qui ne veut pas jouer dehors par ce beau temps ?

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« Ici se trouve le cœur d'Alejandro Morera Soto, le magicien du ballon. » La plaque du milieu a été ajoutée pour le centième anniversaire de la naissance de celui qui a donné son nom au stade.


À l’entrée, l’histoire n’est pas oubliée. Un mur regroupe les plaques commémoratives, notamment pour les membres du club qui étaient à la Coupe du monde 1990. Il y a également une stèle en l’honneur d’Alejandro Morera Soto, qui a donné son nom au stade. Attaquant mythique de l’histoire d’Alajuelense entre 1925 et 1947, il a aussi joué en Espagne, notamment au FC Barcelone, ainsi qu’au Havre, en France, avant de se lancer dans la politique et de devenir député puis gouverneur de la province d’Alajuela.


La prochaine page d’histoire que le club veut écrire doit avoir lieu ce mardi. Et les supporters ne prennent pas ce match à la rigolade. En matinée, ils étaient une petite cinquantaine en réunion dans une tribune pour préparer l’ambiance. Au moment de ma sortie, certains d’entre sont allés à l’autre bout du stade et je les ai pris sur le fait à transporter de grands cartons qui doivent servir à un tifo. J’aurais aimé discuter avec eux mais on m’a fait comprendre poliment mais fermement qu’il n’etait pas question de prendre de photo et que je n’avais rien à faire là.


Cela donne le ton pour mardi, même si en soirée l’accueil a été bien plus chaleureux. Il ne fait aucun doute que Montréal est attendu de pied ferme et qu’on aura droit à une ambiance des grands soirs. Les supporters locaux vont chanter à tue-tête bien avant le coup d’envoi, et 90 minutes durant. À Ciman, Toia, Reo-Coker, Piatti et consorts de les faire déchanter au moment du coup de sifflet final.